Compte-rendu du café géopolitique sur l’Afghanistan animé par Adam BACZKO

En 2021, Adam BACZKO, chercheur au CERI (Sciences Po) a publié un livre (La guerre par le droit, les tribunaux taliban en Afghanistan, CNRS Editions) qui place le droit au coeur de la politique des talibans. Vu de l’extérieur, l’application du droit et le régime taliban peuvent sembler incompatibles, mais Adam BACZKO annonce d’entrée que c’est précisément pour remettre de l’ordre en Afghanistan qu’une partie de la population afghane fait davantage confiance aux talibans, plutôt qu’à tout autre pouvoir. La société afghane est islamique et accepte mieux la justice rendue par les talibans que celle des Occidentaux, accusés d’avoir répandu la corruption.

L’Afghanistan a souvent été associé à Ben Laden. Comment et pourquoi est-il arrivé dans ce pays? Au départ, Ben Laden s’engage dans les années 1980 aux côté des nombreux combattants dans la guerre contre l’URSS en Afghanistan. Prenant de l’importance dans les réseaux de combattants étrangers, son aversion pour l’Occident et en particulier pour les Etats-Unis s’amplifie au moment de la Guerre du Golfe lorsque des bases américaines sont implantées en Arabie saoudite, son pays d’origine, abritant les lieux saints de l’islam que sont la Mecque et Médine. Il part au Soudan, mais les Etats-Unis parviennent à faire pression sur les autorités locales pour l’en expulser. Il va alors en Afghanistan où les talibans ont pris le pouvoir. Ces derniers ne comprennent pas les conséquences des attentats du 11 septembre 2001 et ne s’attendent visiblement pas à être pris pour cible.

Adam BACZKO rappelle la structure étatique qui existe en Afghanistan en dépit des représentations d’un pays tribal, largement nourries par des textes de l’époque coloniale britannique ou par des récits de voyage (Kessel). Le pays est souvent représenté comme ayant résisté aux Britanniques, aux Soviétiques et aux Américains. Or, le retrait soviétique d’Afghanistan s’explique surtout par la situation déjà largement dégradée à l’intérieur du pays. L’échec américain se comprend par l’application d’une stratégie qui ne fonctionne pas (comme en Irak) et qui repose sur une gestion bureaucratique des énormes sommes investies. Ainsi, les Américains ont beaucoup sous-traité leurs activités dans les pays occupés, les isolant totalement du reste de la population. Mais afin de justifier de toutes les sommes dépensées auprès des différentes administrations, ils devaient employer des prestataires américains totalement déconnectés avec la réalité des terrains d’occupation. Ce système de sous-traitance a également facilité la corruption, puisque les entreprises très souvent américaines chargées d’organiser les services en Afghanistan devaient payer des rétrocommissions au pouvoir en place incarné par le président Hamid Karzaï. D’après Adam BACZKO, la corruption était beaucoup moins forte avant 2001 sous le régime des talibans, ce qui a renforcé l’exaspération de la population à l’égard des Américains et a permis aux talibans de se poser en force morale face à des Etats-Unis perçus comme une force d’occupation. En somme, d’après Adam BACZKO, les échecs américain en Afghanistan et en Irak sont davantage le résultat de contraintes administratives internes à satisfaire que d’une absence de stratégie. Il relève que la stratégie actuelle en Ukraine est totalement différente: Kiev formule des demandes précises concernant l’aide financière et militaire, mais n’hésite pas à formuler des critiques à l’encontre des pays alliés.

Les Démocrates et les Républicains s’opposent d’ailleurs de plus en plus sur la politique étrangère. Jusqu’à une période récente (peut-être la guerre en Irak est-elle un tournant), un large consensus existait entre les deux camps et de discrètes négociations pouvaient avoir lieu en cas de divergences. L’occupation de l’Afghanistan montre une nette évolution vers une rupture du consensus: en 2001, l’intervention pour punir Ben Laden et le régime taliban n’est pas discutée, mais en 2008, Barack Obama promet dans sa campagne un retrait américain du pays. En 2011, il augmente pourtant considérablement le nombre de soldats américains (de 100 000 à 130 000). Alors qu’il devient de plus en plus évident que les talibans se rapprochent du pouvoir à Kaboul à partir de ces années-là, les Etats-Unis sont sans solution. En août 2021, ils se retirent en débandade avec des images d’avion décollant à la hâte et un aéroport pris d’assaut par tous ceux qui voulaient quitter le pays en quelques jours.

Le travail du chercheur sur une zone de conflits est également questionné. Les structures académiques actuelles sont de plus en plus réticentes à envoyer des chercheurs dans des régions dangereuses et bien souvent, il faut choisir entre renoncer ou aller à l’encontre des institutions. Pourtant, beaucoup d’entre eux, par passion pour leur travail, continuent à se rendre sur ces terrains, notamment parce qu’ils ont souvent une connaissance fine des lieux, fruit de plusieurs années d’expérience. Adam BACZKO a mené une grande partie de ses recherches entre 2010 et 2016 et ne se déplaçait qu’avec des connaissances sûres. Pour les déplacements interurbains, les informations sont plus faciles à vérifier que dans les villes où les aléas sont plus nombreux. La valorisation du travail des chercheurs reste faible et notamment dans les médias. Ces derniers préfèrent souvent inviter des “noms” sans connaissance particulière avec un terrain, plutôt que des spécialistes, engagés depuis longtemps sur une aire géographique spécifique, qui parlent la langue avec un réseau d’informateurs dans de nombreux domaines. Il n’y a guère que sur des médias de qualité mais moins écoutés (Arte ou France Culture) que le chercheur peut valoriser son travail, tant par le temps accordé pour expliquer la complexité des phénomènes (la situation en Afghanistan peut difficilement se comprendre en quelques minutes), que par le choix de l’intervenant (être connu, même sans rapport direct sur le sujet est souvent la seule raison d’être invité dans les principaux médias). Ici, la question posée est également la formation des journalistes, qui sont devenus davantage des présentateurs que des personnes ayant travaillé le sujet: ainsi, inviter des “noms” permet de donner l’illusion de répondre en peu de temps à des questions fort complexes.

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